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Expérimentation animale : l’urgence de la transparence

La France a adopté une « charte de transparence » sur l’expérimentation animale. L’auteur de cette tribune s’en félicite, mais souligne que, jusqu’ici, une culture du secret administratif, couronnée de sanctions faibles et rarement appliquées, a prévalu.

Nicolas Marty est président de l’association antispéciste Acta-Gironde et bénévole pour Animal Testing.


Surprise matinale, le 23 février : la France vient enfin d’adopter une « charte de transparence » sur l’expérimentation animale ! Bonne initiative s’il en est. « Initiée par le ministère de la Recherche, de l’Enseignement supérieur et de l’Innovation, cette démarche est coordonnée par le Gircor, association sans but lucratif qui informe le public sur la recherche impliquant des animaux vivants », lit-on dans un communiqué de ladite association — groupe interprofessionnel dont les adhérents et dirigeants sont les établissements publics et privés qui pratiquent l’expérimentation animale, sous la présidence du CNRS.

Dans la charte elle-même, après avoir appuyé longuement sur la « nécessité » de l’expérimentation animale et sur les « exigences réglementaires » qui « imposent le respect de règles éthiques », on lit notamment que « chaque citoyen a droit à une information complète, claire et exacte sur les raisons et les conditions de recours aux animaux, sur le cadre réglementaire de cette utilisation ainsi que sur les progrès scientifiques et médicaux qui en découlent ». Une phrase que l’on retrouve sur le communiqué du Gircor et sur la page qu’il dédie à la charte.

Passons sur le fait qu’il s’agit encore de souligner la nécessité de l’expérimentation animale — la fin justifie les moyens, on l’aura compris. Ce qui m’a vraiment gêné dans cette phrase, si positive qu’elle puisse être dans le principe, c’est qu’elle est en contradiction radicale avec ce que j’ai vécu depuis bientôt un an.

Des administrations tout sauf transparentes

Je prépare un ouvrage sur la situation actuelle de l’expérimentation animale en France, en faisant au mieux pour obtenir des informations fiables de première main. Au printemps 2020, j’ai demandé aux services vétérinaires des DDPP (Direction départementale de protection de la population) de m’envoyer les derniers rapports d’inspection des établissements d’expérimentation animale. J’ai également sollicité les ministères pour qu’ils m’adressent la liste des établissements agréés pour l’expérimentation animale en France, les bilans d’activités du Comité national de réflexion éthique sur l’expérimentation animale et le vade-mecum des inspections des établissements d’expérimentation animale — qui n’est pas publié sur le site du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, contrairement, par exemple, aux vade-mecum concernant l’inspection des abattoirs. Mais, comme le disait à l’été 2020 le président de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada), « la culture des administrations est, encore aujourd’hui, davantage celle du secret que de l’ouverture ».

Les lapins font partie des animaux les plus présents dans les laboratoires. TEST

Malgré les avis rendus par la Cada, qui prévoient qu’il est possible de me communiquer les documents demandés sous réserve de certaines occultations bien spécifiques, il m’a fallu déposer plusieurs dizaines de requêtes aux tribunaux administratifs, dont les décisions sont en attente.

Si tout va bien, le public a le droit de savoir, mais… La veille de la parution de la charte de transparence, une des DDPP ayant refusé de me fournir ses rapports d’inspection affirmait à l’intention du tribunal que « le préjudice que pourrait faire peser la divulgation du comportement d’une personne morale justifie la non-communication d’un document ». En fait, si tout va bien et que les pratiques concernées ne soulèvent aucune controverse, alors le public a le droit de savoir, et le droit d’accéder aux documents. En revanche, si les pratiques sont critiquées ou que les documents révèlent des manquements à la réglementation, alors le public n’a pas le droit de savoir ce qui se passe : ni ce qui ne va pas, ni ce qui est fait pour y remédier.

Étonnamment, cette omerta ne semble pas concerner d’autres domaines pourtant sensibles : l’Agence de sûreté nucléaire (ASN), l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et les Directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) publient régulièrement sur leurs sites web, non seulement des rapports concernant des établissements classés et des établissements nucléaires, mais également des « lettres de suites d’inspection » et autres « avis ». L’expérimentation animale est donc moins transparente que ces industries.

Des sanctions qui semblent quasi inexistantes

Il faut dire que les sanctions prévues dans la loi concernant l’expérimentation animale sont les amendes correspondant aux contraventions de troisième classe (maximum de 450 euros) ou de quatrième classe (maximum de 750 euros). Pour en arriver à ces contraventions, encore faut-il passer par un procès-verbal et par un jugement. Et, pour en arriver à ce procès-verbal, il faut d’abord passer par une mise en demeure de l’établissement. Mise en demeure qui, d’après les remarques du gouvernement adressées à l’Union européenne, ne semble arriver que dans le cas où un établissement obtiendrait une note générale « D – Non-conformité majeure » lors de son inspection.

Or, sur les 115 rapports d’inspection que j’ai pu analyser pour l’instant, la plupart ont obtenu la note globale « B – Non-conformité mineure » (tout en incluant régulièrement des items de non-conformités moyennes et/ou majeures) et quatre ont obtenu la note globale « C – Non-conformité moyenne ». Ces quatre établissements présentaient chacun entre sept et neuf non-conformités mineures, entre quatre et neuf non-conformités moyennes et deux ou trois non-conformités majeures, pour un total de quatorze à vingt-et-une non-conformités — concernant notamment les compétences des personnels, l’utilisation de médicaments périmés ou de molécules interdites pour l’anesthésie et l’euthanasie, l’absence d’enrichissement du milieu pour les animaux, mais aussi la réalisation de projets sans autorisation du ministère. À se demander ce qu’il faut pour obtenir la note générale « D » et pour enclencher un processus qui pourrait, éventuellement, aboutir à une sanction de quelques centaines d’euros…

« Chaque citoyen a droit à une information complète, claire et exacte sur les raisons et les conditions de recours aux animaux, sur le cadre réglementaire de cette utilisation ainsi que sur les progrès scientifiques et médicaux qui en découlent. » Bonne idée. Il est temps de la mettre en pratique.

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